mercredi 9 février 2011

Full dark, no stars

J'ai triché. J'ai certaines lectures qui me sont assignées et qui devraient prendre tout mon temps. Malgré mon sens du devoir, je n'ai pu m'empêcher de plonger dans le dernier Stephen King, Full dark, no stars. Voyez-vous, il est apparu en librairie fin novembre. Je commençai alors à l'emprunter pendant mes pauses, me dédouanant ainsi de ma culpabilité. Un délice, évidemment. Un livre qui vous fait vous esclaffer devant la chef-caissières qui mange ses nouilles en styromousse en levant les yeux au dessus de sa cuillère, vaguement intriguée, signal que vous pouvez lui résumer la bonne blague :

- La fille vient de se faire violer solide et elle rentre à pieds chez elle, sous le choc. Un moment donné, elle passe devant un bar de bord de route, elle entend un groupe jouer une chanson des Cramps, Can your pussy do the dog?.

Je penche les yeux sur le livre, retrouve le passage et lis :

- « No, Tess tought, but today a dog certainly did my pussy. »1

Et je la regarde, attendant qu'elle éclate de rire, pensant presque instantanément qu'elle est peut-être la fille sur trois qui s'est fait agresser... mais elle finit par sourire après avoir sifflé ses nouilles :

- Humpf, crisse, c'est dark! Mais in' bonne pareil!

Je replonge dans ma lecture. L'extrait est tiré de la deuxième nouvelle, titrée Big driver, ou « Et si un tueur en série tombait sur la victime qu'il ne lui fallait pas? ».

Ce recueil est une des réussite de King. Cet auteur a une singulière particularité : il excelle dans deux formes2, dont une qu'il a, je crois, quasi-inventée. La première est la brique. Ça, Le Fléau, La tour sombre, Sac d'os et bientôt Le dôme...3 La deuxième, celle qui nous intéresse ici, est la longue nouvelle (60-120 pages). Il y a en quatre dans ce livre, à l'image de Différentes saisons (et d'autres recueils peut-être, sûrement), qui est un autre des summum de King (dont ont d'ailleurs été tiré trois films : Apt pupil (Ian McKellen), Shawshank redemption (Tim Robbins, Morgan Freeman) et Stand by me (River Phoenix, Corey Feldman). La dernière ferait un très bon court métrage.

Je dirais que la principle force de SK réside dans ses personnages : ils sont tout à fait crédibles. Ils sont pleins: en chair, en sang, en muscles, animés d'une psychologie réaliste quoiqu'un peu bavarde. On y croit et c'est ce qui fait qu'on les suive, qu'on tourne les pages comme on le fait, qu'on soupire à la fin de 10 minutes et qu'on décide d'en prendre 2 de plus : on a de la difficulté à les abandonner à leur sort (souvent mauvais dans l'univers kingesque...).

La première nouvelle m'a ravie sur ce point. C'est une des très bonnes histoires que j'ai lues dans ma vie et, dans l'oeuvre de King, elle entre en écho avec un roman prenant la forme d'un long monologue, celui de Dolorès Claiborne, accusée du meurtre de sa patronne et qui se raconte aux policiers. 1922 est une confession écrite narrant les évènements charnières s'étant déroulés cette année-là dans la vie de l'auteur de ladite confession, Wilf. Je ne sais pas comment vous le faire comprendre, mais j'avais l'impression, en lisant des caractères d'imprimerie sur une pâte de papier, d'entendre le débit de ce que je crois être l'accent du Nebraska des années vingt. La réalité quotidienne et ses préoccupations, les mentalités de l'époque, les normes sociales, enfin tout se mêlent pour nous permettre de voir et d'entendre, de vivre presque. Le sujet est aussi en résonnance avec Dolorès puisqu'on y avoue un meurtre. Un meurtre dont l'horreur et la cruauté de ce qu'on imagine être l'expérience d'enlever la vie à un être humain, sont telles, que l'on peut être forcé de poser le livre. Le narrateur nous dit d'ailleurs, et c'est clairement, pour moi, une adresse de l'auteur au lecteur :

« Here is something I learned in 1922 : there are always worst things waiting. You think you have seen the most terrible thing, the one that coalesces all your nightmares into a freakish horror that actually exists, and the only consolation is that there can be nothing worse. Even if there is, your mind will snap at the sight of it, and you will know no more. But there is worse, your mind does not snap and somehow you carry on. »4

Le propos de cette nouvelle, celui de la culpabilité peut-être, ou bien de la vengeance, c'est selon, est résolument actuel, bien que le récit prenne place au siècle dernier -j'ai toujours eu hâte d'écrire ça en conservant de la pertinence!-. Je dis c'est selon parce qu'il s'agit d'un récit faisant une belle part à l'interprétation du lecteur, particulièrement au sens qu'il prêtera à la dernière pièce d'information se présentant sous la forme d'un article de journal, effet de réalisme récurrent chez King. Il y a donc moyen d'évacuer tout élément fantastique de la nouvelle ou, au contraire, de les conserver. Possibilité que la troisième nouvelle offre aussi au lecteur.

Celle-là m'a fait jubiler d'emblée puisqu'elle est campée à Derry. Quiquonque est un tant soit peu fan de SK connaît cette ville qui est le cadre de plusieurs de ses histoires dont le gigantesque Ça. Nous y retrouvons un personnage tout à fait à sa place : M. Elvid, vendeur de Fair extensions, le titre de la nouvelle. Elvid, un cousin de Pennywise peut-être, est avant tout apparenté à Leland Gaunt, qui est déjà, lui, passé par Castle Rock. Il vendra une « life extension » à Strether qui le paiera en argent (les âmes sont sans sel désormais) mais surtout en « psychic physic », ses malheurs étant transférés sur les épaules de celui qu'il déteste le plus (je ne vous pas qui c'est, mais c'est un de ces exemples de crédibilité psychologique dont je parlais plus tôt). Bien que plusieurs signes nous attirent sur un versant disons paralittéraire, le lecteur pourrait tout aussi bien conclure qu'aucune force surnaturelle n'est en action dans les années supplémentaires qui côutent 15% de son revenu annuel à Strether. Effet placebo?

Mais est-ce bien là la question qui importe ou ne réside-t-elle pas plutôt dans la morale même de cette histoire, morale encore plus renversante si on opte pour la paralittérature et qu'on admette le caractère monstrueux de Elvid, qu'on lui reconnaisse bel et bien des pouvoir paranormaux? Car la vie peut-elle être si injuste? Et pourquoi ce cadre spatio-temporel historico-géopolitique que l'on ne croise presque jamais dans les livres de l'auteur (j'oserais même avancé jamais)? Existerait-il pour amplifier l'effet « psychic physic » ou bien est-il là pour qu'on le remette davantage en doute, soulignant que le malheur des hommes est bien souvent la récolte des grains qu'ils ont semés? Hum.

La dernière nouvelle aurait, elle, pu s'intituler « Et si vous étiez mariée à un tueur en série? » mais elle porte le titre A good marriage. Parlons de Darcelleen et, pourquoi pas, de toutes les autres. SK est un maître dans la peinture des personnages féminins. Un des seuls qui crée des femmes crédibles, qui, si elle m'agacent, c'est parce que l'auteur le souhaitait. Son talent va jusqu'à me faire prendre cette habileté pour acquise. Remarquez d'ailleurs que la plupart des grands auteurs contemporains évitent les femmes, narratrice ou héroïne; il ne s'est jamais agit, selon moi, de sexisme latent, mais plutôt d'une connaissance de leurs limites. Après tout, même Freud reconnaissait que la femme est un continent noir... Malgré cela, ce talent est tellement inné chez King que 2 des 4 nouvelles du recueil ont pour personnage principale une femme. Tess, the brave one, et Darceleen, la femme qui traverse le miroir. Ce ne sont pas les premières, je vous rappellerais Carrie, Beverly de It,  Annie de Misery...

Revenons donc à Darcelleen qui, après 27 ans d'un mariage heureux bien que tout à fait ordinaire, découvre une cache dans le garage familial. Dans cette cache se trouve les cartes d'identité d'une femme portée disparue et retrouvée morte peu de temps auparavant. Tombée sous les coups, Darcy le sait, elle écoute les nouvelles, d'un tueur en série particulièrement sadique. Tueur qui a également assassiner l'enfant d'une de ses victime, un garçon de 8-9 ans. Darcy comprend. Et plonge dans le miroir. Un conte avec les bons, les méchants, les objets empoisonnés, la chute de l'héroïne, sa rédemption, l'adversaire devenant l'adjuvant (et vive versa). Un extrait :

« She continued to smile at him, but now saw him again (after that brief, loving lapse) for what he was, the darker husband. Gollum with his precious. »5

Quand je parle des formes du conte dans le paragraphe précédent, c'est qu'il en est clairement question. Je dirais, malheureusement il en est question; noir sur blanc. C'est un des défauts de ce recueil, non de l'auteur. Il semblerait qu'avec le temps, le lecteur idéal de SK ait de moins en moins de culture générale, qu'il doive être mis sur les pistes de l'intertextualité de manières plus en plus grossières. Exemple : la référence au conte de Barbe bleue quelques pages seulement après que j'eue éprouvé le contentement d'y penser et de le noter comme une possible clé de lecture. Alice demeure une présence plus discrète, inscrite en négatif dans l'utilisation du miroir comme métaphore dans les scènes où Darcelleen s'y regarde et se remémore ce qu'elle y cherchait quand elle le fixait étant enfant. Un autre endroit ou cet agacement s'est fait sentir : dans Fair extensions, l'auteur souligne le talent pour le scrabble de son protagoniste en nous donnant la solution à l'anagramme (tout de même facile) de Elvid... J'avais compris! Et je suis déçue qu'il donne la réponse à ceux qui auraient négligé l'attention que devrait porter tout lecteur à certains patronymes... Enfin. Trève de critiques: c'est un livre saisissant. Ne boudez pas votre plaisir.

Votre libraire, la garce des livres XXX

1Stephen King, Full dark, no stars, Scribner edition, USA, 2010, p.163
2 Et il est mieux que bon dans le roman disons, plus traditionnel, où il y a aussi des joyaux comme Marche où crève, Rage, Needful things...
3Un de ces monstres paraîtra en français le 7 mars : Le dôme. Mon collègue accro à SK l'a lu en anglais et m'assure que c'est un autre incontournable.
4 Stephen King, Full dark, no stars, Scribner edition, USA, 2010, p. 42
5Idem. p. 339

mercredi 12 janvier 2011

B.E.E 2

« They had made a movie about us. »

Donc, cette phrase. Cette phrase qui me hante depuis quelques mois déjà. Une phrase somme toute banale, mais qui se révèle si riche lorsqu'on la place dans le contexte de l'oeuvre que BEE construit. Intéressons-nous d'abord au contenant.

Lorsqu'on connaît B.E.E., nous savons, bien avant de lire cet incipit, que Imperial bedroom(s) est la suite de Less than zero. Nous savons, pour peu que nous aimions l'auteur où que nous nous tenions au courant de l'actualité artistique, qu'un film a bel et bien été tiré de son premier roman et que les acteurs étaient ceux du Brat pack des années '80 : Robert Downer Jr. y joue Julian, Jamie Gertz, Blair, Andrew McCarthy, Clay et James Spader y incarne Rip. Leur popularité a permis au film de devenir culte auprès d'un certain public et à son auteur d'obtenir une reconnaissance qui n'était plus cantonnée au milieu littéraire. Le personnage de B.E.E. était lancé, et allait faire grand bruit. Quant à l'homme, c'est une autre histoire.

Superbe mise en abyme, phrase saisissante d'actualité dans ce monde obnubilé par la visibilité sociale, ce début marque le retour de Clay et de ses pairs mais ouvre surtout une réflexion sur la construction de la fiction. Les considérations de Clay sur les rapports réalité/fiction du roman dont il est le personnage principal et le narrateur, ainsi qu'à propos des transformations de l'histoire et des personnages (lui-même entre autres) dans le processus de son adaptation cinématographique, sont délectables et parviennent à changer l'angle avec lequel il nous faut aborder ces deux livres. Si Clay devient ici le narrateur et l'auteur supposé, l'auteur de Less than zero devient donc un personnage dans Imperial bedroom(s). Cette phrase résume ce retournement :

« ...how afraid I was of the writer, a blond and isolated boy whom the girl I was dating had halfway fallen in love with. But the writer would never return her love because he was too lost in his own passivity to make the connection she needed from him, and so she turned to me, but by then it was too late, and because the writer resented that she had turned to me I became the handsome and dazed narrator, incapable of love or kindness.»1

Et le paratexte ne nous aide pas puisque ce livre ne nous est pas présenté avec l'apellation traditonnelle «novel». Rien sous ce titre emprunté à Costello. Clay, narrateur, attire notre attention sur cette absence en précisant que Less than zero « ...was labeled fiction but only a few details had been altered and our names weren't changed and there was nothing in it that hadn't happened »2 L'art de la narration dans l'oeuvre de B.E.E. est un sujet de thèse ample et riche et je pourrais tenter de vous la décrire objectivement, utilisant pour ce faire tous les systèmes d'analyse à ma disposition, mais je ne parviendrais pas à vous le faire sentir : il faut le lire. On trouvera dans les pages de ces romans l'illustration de ce que fût la fin du deuxième et le début du troisième millénaire en littérature occidentale (et dans la société, ne nous gênons pas). Vous pouvez juger cette affirmation péremptoire, mais avec tout ce que je lis, vous devriez me prendre un peu plus au sérieux et aller vérifier par vous-même.

Les rapports qu'entretiennent les personnages, les narrateurs, entre eux, avec l'auteur et sa « réalité » et, plus globalement, les référents multiples des romans au monde du lecteur sont, en fait, le thème et le style de l'auteur et les matériaux qu'il retravaille à chaque roman3. Étayons un peu ce point : je parle de mélange et d'ancrage réel, de jeu de questionnement sur le personnage de l'auteur et sur l'auteur lui-même. Le fait que nous découvrions au tout début du livre que le narrateur que nous avions accepté comme auteur autofictionnel de Less than zero était un auteur « traditionnel » narrant une histoire où «... only a few details had been altered... »4  , emplie de personnages que nous devons maintenant considérés comme des êtres réels, qui ne sont devenus fictifs que par l'intermédiaire du film, est un pari que peu d'auteur relève en si peu de phrases. De plus, l'auteur inscrit son oeuvre de plain pied dans une méta-autofiction, une réflexion sur les procédés mêmes de la réflexion qu'avait entamée l'autofiction. Me suivez-vous? Relisez. Enchaînez.

L'auteur réussit donc en moins de 5 pages un exploit admirable : la référence que constituait son premier roman en matière d'autofiction dans la récente histoire littéraire et dans le champs du concept de genre se transforme. Ce premier pas dans l'univers littéraire devient aussi la première brique d'un autre genre encore en pleine construction et que B.E.E. travaille au corps dans son oeuvre et qui est au coeur de celle-ci. Pourtant, il ne fait que tenter de répondre à la sempiternelle question fondamentale de tout art : Qui suis-je? Que sommes-nous? Mais avec plus d'acuité, de lucidité, d'intelligence que la majorité.

Voici donc dépeinte la fresque narrative de ces deux opus d'une même symphonie. Pour le profane, il me semble facile d'imaginer qu'à la lecture de mes propos vous vous êtes bâtie une image un peu rébarbative de ces romans. Revenons-en donc à la chair qui n'est pas insignifiante et est, ô combien, jouissive.

D'abord les résumés : Less than zero raconte les vacances de Noël de Clay dans sa ville natale, Los Angeles. Lui et ses amis sont issus d'un milieu des plus aisé. Clay poursuit des études dans une université du nord-est américain; Blair, l'ancienne amante de Clay et de Julian, est vaguement mannequin pendant que Julian, lui, devient un junkie se prostituant sous l'égide de Rip (qui lui refile d'abord la drogue puis les clients). Clay sera témoin d'événements plus choquants les uns que les autres en ces quelques jours de congé. Ajoutons que sa relation avec Blair ne s'en obscrurcira que davantage et qu'il rentrera, avec joie, dans son université de la Nouvelle-Angleterre. Imperial bedroom(s) se déroule 25 ans plus tard, à LA où revient Clay, officiellement pour participer aux auditions du film Informers5 pour lequel il a écrit le scénario et qu'il co-produit. Il reverra Blair, mariée à Trent, Julian, qui possède maintenant sa propre agence de prostitution de luxe, mais surtout Rip. Sa rencontre avec une jeune actrice, Rain Turner, fera lentement glisser l'histoire vers un polar noir doublé d'un film d'espionnage. L'auteur nous montre, à plusieurs reprises, que le narrateur nous cache sciemment des informations et que l'histoire qu'il nous raconte n'est peut-être après tout que sa version à lui.

Plusieurs thèmes reviennent et nous retrouvons les personnages quasi-inchangés si ce n'est que le Clay d'Imperial bedrooom(s), le vrai (si on honore le pacte auquel nous avons été convié au début du livre) est beaucoup plus noir que celui que nous avions connu en tant que personnage du livre d'abord et du film surtout. La critique qu'en fait d'ailleurs le Clay d'Imperial bedroom(s) n'est pas anodine :

« In the book everything about me had happened. The book was something I simply couln't disavow. The book was blunt and had an honesty about it, whereas the movie was just a beautiful lie (...) In the movie I was played by an actor who actually looked more like me than the character the author portrayed in the book : I wasn't blond, I wasn't tan, and neither was the actor. I also suddenly became the movie's moral compass, spouting AA jargon, castigating everyone's drug use and trying to save Julian. »6

Je songe à une scène en particulier qui m'avait frappée dans Less than zero, le livre, et qui été politico-correctement transformée dans le film : Julian doit faire un client pour Rip. Clay est invité à le suivre car le client veut qu'un autre jeune homme les observe. Clay, qui vient de comprendre à quel niveau son ami est impliqué dans ce milieu, ne dis rien et suis Julian, qui ne dit rien non plus. Clay observera tout le déroulement de la relation sexuelle entre Julian et l'homme et lorsque ce sera terminé, les deux quitteront les lieux sans presque plus y faire allusion. Dans le film, cette scène devient la scène typique de sauvetage : Clay surprend Julian en train de faire une fellation à un homme dans la chambre d'une suite appartenant à Rip et le force à le suivre. Ils quittent les lieux, Clay manifestement atterré et très en colère, Julian honteux et complètement gelé. La discussion attendue s'ensuit.

Ce que l'on peut écrire n'est souvent pas montrable à l'écran et en relatant la stupéfaction de Julian devant sa mort dans le film, Clay tient ces propos :

« … in the book Julian Wells lived but in the movie's new scenario he had to die. He had to be punished for all his sins. That's what the movie demanded.(Later, as a screenwriter, I learned it's what all the movies demanded.) 7


Alors pensez bien que la scène du snuff movie ainsi que celle du viol de la fillette de 12 ans droguée ont également été oubliées, mais pas dans IB où on retrouve, comme un écho fragmenté, ces snuff movies et une scène de viol qui, si elle n'est pas collective, n'en demeure pas moins répugnante. Clay est d'ailleurs l'auteur du viol alors que LTZ nous le présentait, lâche certes, mais ne participant pas à l'agression et s'empressant de partir. Le lecteur, enfin moi, l'avions senti choqué, avions senti qu'il n'approuvait pas ce qui se passait. Clay n'est pas le même, peut-être bien parce qu'il doit forcément être différent du premier dont il était seulement l'inspiration... Ses cotés manipulateur, profiteur, violent nous sont ici révélés. La conséquence la plus immédiate est que la sympathie quasi-automatique que le lecteur accorde au personnage principal (faisant office de narrateur ou non) se délite tranquillement, événement après événement. Le summum est atteint au cinq sixième du livre lorsque nous est décrite, dans un vocabulaire lyrico-baroque, une scène d'une violence et d'une vulgarité exemplaire dont Clay est l'instigateur; impossible d'imaginer Andrew McCarthy la jouant. S-t-r-i-c-t-e-m-e-n-t impossible. Je ne peux d'ailleurs l'imaginer en images que sur un site internet particulièrement glauque. Et gore.

Je pourrais continuer longuement ainsi mais je vous priverais de votre plaisir. Nous aurons assurément l'occasion de reparler de BEE sur ce blog. Bonnes lectures,

Votre garce littéraire XXX

1Bret Easton Ellis, Imperial bedroom(s), Alfred A. Knopf, USA, 2010, p. 3
2Ibid, p.3
3 Pour les amants de Sainte-Beuve, je vous suggère de vous repaître des « faits et gestes » de M. Ellis et de son propre rapport au réel, à l'image, à l'artifice et aux classes et codes sociaux pour agrémenter votre lecture. Vous pourrez ensuite pondre une gentille réflexion sur le rapport à la morale dans l'oeuvre (et la vie) de M. Ellis...
4Ibid, p.3 ; Notez le choix du verbe : altered et non changed, qui est une cooccurence plus commune mais dépourvue de la nuance de véracité qu'apporte altered.
5Ce n'est pas inutile ici de mentionner qu'il s'agit bel et bien d'un film dans lequel jouent Kim Basinger et Billy Bob Thornton entre autres, scénarisé par Bret Easton Ellis et basé sur son roman Zombies. On commence à avoir du fun là hein?
6Ibid. p.7
7Ibid. p.8

lundi 3 janvier 2011

B.E.E.


Je me demandais tout à l'heure, en pensant à ce texte, quand et comment j'avais connu Bret Easton Ellis. Je cherchais dans mes souvenirs littéraires et me demandais quelle émotion m'avait traversée et où. Ce qui saurait m'amener au quand. L'image qui tentait de s'imposer à mon esprit, et que je chassais avant même que sa réminiscence ne prenne une forme intelligible à mon intuition, ne provenait pas du bagage proprement littéraire et je ne faisais que repasser sans cesse la même image : assise en face de la librairie, je lis American psycho en poche chez 10/18 et m'esclaffe quasi-silencieusement devant le portrait de Whitney Houston que me trace, avec subtilité et passion, Patrick Bateman. Rien avant ça. La cellule qui faisait pression pour m'envoyer son message chimique finit par franchir les tranchées et j'eus souvenir d'une salle sombre. Une salle sombre dans laquelle était projeté American psycho. Patrick Bateman était joué par le traître de Swing kids. J'ai vu Bret avant de le lire. Oh. Le refoulé ne l'était plus. J'invoquerai en défense le fait que le bruit entourant la sortie du premier roman de l'auteur (Less than zero), adapté au cinéma dans l'année qui suivie et entouré d'une rumeur tout autant sulfureuse, m'avait échappé dû à un fait banal : mon année de naissance; trop jeune j'étais. Je ne connaissais pas Bret Easton Ellis; j'étais privé d'un des grand plaisir de la vie et l'ignorait.

13 ans plus tard, American psycho avait, bien avant sa sortie en salles, attiré mon attention. Amateure de film d'horreur, renversée en pleine adolescence par Le silence des agneaux (dont la lecture avait aussi été postérieure à sa découverte au cinéma), altermondialiste anarcho-romantique, je voyais dans les bandes-annonce la mise en scène du déclin de l'empire de la consommation à travers un tueur en série moraliste. Bon. Les bandes-annonce sont ce qu'elles sont et je fus surprise, plaisamment surprise, de voir que le résultat était à la fois meilleur et plus original que l'idée que je m'en étais faîte. On était certes dans la tradition des serial killers mais aussi chez Philip K. Dick et chez David Lynch (d'accord, un David Lynch tranquille, époque Dune genre). Je me suis empressée de me le procurer à sa sortie et l'ai réécouté souvent. Mais, surtout, je l'ai lu.

« VOUS QUI ENTREZ ICI LAISSEZ TOUTE ESPÉRANCE peut-on lire barbouillé en lettres de sang au flanc de la Chemical Bank, presque au coin de la Onzième Rue et de la Première Avenue, en carcactères assez grands pour être lisible du fond du taxi qui se faufile dans la circulation... »1

L'adresse au lecteur de l'incipit est explicite, en capitales italiques, une citation d'un écrit dans un écrit, un jeu auquel se prête l'auteur avec désinvolture mais qui n'est pas insignifiant. Nous sommes chez Bret Easton Ellis  mais c'est Dante qui nous interpelle. Nous avons affaire à un esprit malicieux, candide et sadique, intelligent et terrorisé. L'histoire, nous rappelle à sa manière l'auteur, n'est qu'une histoire, mais peut-être pas. Ces mots sur le flanc de la banque, on peut imaginer qu'ils ont existé dans le monde que l'on partage avec lui, cité par un autre, une citation connue; peut-être pas à cet endroit, mais pas loin. La multiplication des lieux, objets, êtres qui ont une existence réel, hors livre, n'est pas seulement un effet de style chez BEE, c'est un message en lui-même : mes romans sont de vraies histoires, en opposition à des histoires vraies.

La valse qu'il mène avec les conventions narratives, les clins-d'oeil au post-modernisme, la torsion apliquée aux genres, les personnages fragmentés, les narrateurs auxquels on ne peut se fier, sont autant de délices dont aucun lecteur ne devraient se priver. Cependant... cependant ce qui est dit au tout début  d'American psycho est aussi important que les révélations formelles que cette phrase suppose. BEE est un réaliste cynique frayant dans des sphères qui nous sont fermées et le seront fort probablement toujours. Des sphères dans lesquelles des individus blasés et libérés de toute morale s'amusent comme il le peuvent, parfois aux dépends les uns des autres, souvent aux nôtres, exclus en tout genre que nous sommes. L'envers du rêve que d'autres ont choisi de nous faire miroiter à grand renfort de papier glacé et de pellicules cinématographiques. BEE nous montre que ces tragédies n'en sont pas, que la noblesse inhérente aux personnages tragiques a disparue sans laissée de trace, balayée par un mépris qui bloque l'accès à l'empathie. Les personnages de BEE ne sont pas aimables et ce, au sens fort du terme. Un sincère merci.

Ajoutons que BEE multiplie les adresses au lecteur pour mieux le perdre, le mène là où il veut, l'abandonne et le réharnache au moment ou ce dernier s'échappait, le tout sans que rien ne semble superflu ni surtravaillé. Le style colle à l'histoire, la séparation n'existe finalement pas, nous ne pouvons imaginer une autre manière de la raconter. Patrick Bateman existe avec sa hache, mais en fond sonore, Phil Collins nous rappelle son humanité, que dis-je, sa naïveté. Ce refus de faire sens, de reconnaître l'existence d'un noyau (et donc de la typologie psychologique à la mode) nous met à la merci du narrateur/auteur. Nous passerons un mauvais quart d'heure. La liberté que se permet BEE et l'art qu'il a de « ne pas y toucher » de relater en laissant transparaître les incohérences, mensonges, hypocrisies de ses personnages et de ses narrateurs, désarçonne. Le lecteur est prévenu et tout ça n'en paraîtra que plus vrai.

Sur ce point, Lunar Park se distingue, se hisse, selon moi, au pinacle de l'auto-fiction. Les cinquante premières pages sont un orgasme intllectuel multiple, un pavé formel, un faux-incipit (ou un vrai?), une explosion de sujets de thèses littéraire. Exerçons-nous à voir.

Suite à deux dédicaces et trois exergues apparaît, à la page 11 :

« 
1

Les débuts

« Tu fais vraiment bonne impression. »

C'est la première phrase de Lunar Park et dans sa brièveté et sa simplicité, elle était censée êre un retour à la forme, un écho, de la première ligne du roman de mes débuts, Moins que zéro :

« Les gens ont peur de s'engager sur les autoroutes à Los Angeles. »

Depuis, les phrases d'ouverture de mes romans sont devenues exagérément compliquées et fleuries, lestées par une insistance abusive et inutile sur des détails, en dépit de l'art avec lesquelles elles sont composées.

Mon deuxième roman, Les lois de l'attraction, commençait avec celle-ci... »

»2

C'est à la page 46, après ce qui pourrait être interprétées comme des digressions sans trop d'importance pour un lecteur profane (osons même dire que ces considérations métalittéraires servent de repoussoir à ce lecteur et sont donc un avertissement tout aussi clair que celui d'Amerian psycho (qui est ici le récit dans le récit, une auto-référence dans l'auto-fiction) quant aux difficultés que posera la lecture bien qu'elles se situent sur un autre plan) que nous retrouvons la fameuse phrase « Tu fais vraiment bonne impression. » chapeauté par le numéro 2 et un titre, sur deux lignes, « Jeudi 30 octobre, La fête ». Le lecteur qui laisse passer cette date sans y voir une étoile de laquelle le développement du récit viendra tirer sa teinte est invité à revenir sur ses pas à la fin de sa lecture. Toujours important chez BEE (et chez bien d'autres); prenez-en l'habitude.

 La veille de l'Halloween donc, commence un récit d'horreur et de maison hanté qui se présente sous les formes d'un journal de création et d'un journal intime, bref sous les auspices autofictionnelles les plus convenues. Mais voilà, bien que l'on nous noie sous les détails people de la vie du narrateur (qui se nomme Bret Easton Ellis, a écrit plusieurs romans dont American psycho, essaye de s'adapter à la vie de famille en banlieu chic, s'imbibe allègrement d'alcool et de drogues), le lecteur ne peut que mettre en doute la parole du narrateur et là, la fiction, dans son appellation la plus classique, pointe le nez. Hanté par Patrick Bateman, frappé par une créature mystérieuse du nom de Terby, obnubilé par son défun père, les cadavres s'accumulant sur ses talons, Bret (narrateur) devient-il fou? Et que fais Bret, l'auteur, empêtré dans cette matière semi-paranormale? Il écrit un chef-d'oeuvre. Voilà ce qu'il fait.

Maintenant, aller les lire et je vous reviens dans pas trop longtemps pour le texte que je me promettais d'écrire aujourd'hui et qui devait avoir pour sujet Bret Easton Ellis, auteur de Less than zero et de Imperial bedroom(s). Un autre diptyque de l'oeuvre de ce brillant auteur auxquels les propos précédents devaient ne servir que d'introduction... La concision n'a jamais été mon fort. Je vous laisse sur la première phrase de son nouvel opus, Imperial bedroom(s) -qui est le titre d'un album d'Elvis Costello (pénible en ce qui me concerne)-, une des meilleures premières phrases qu'il m'ait été donné de lire :

"They had made a movie about us."

Tellement XXIe siècle.

1Bret Easton Ellis, American psycho, 10/18, Paris
2Bret Easton Ellis, Lunar Park, Robert Laffont, Paris

mercredi 1 décembre 2010

Prix littéraires : suite

L'actualité fait souvent bien les choses : entre mon premier blog sur les prix littéraires et celui-ci, qui portera sur les lauréats québécois, une controverse a pris forme autour du prix Archambault alors que Gil Courtemanche a refusé la nomination de son dernier opus en soutient aux jounalistes en lock-out du Journal de Montréal et que Jean-Simon Desrochers a promis de remettre le prix de 10 000$ aux journalistes s'il remportait le vote populaire déterminant le gagnant. On suivra donc les péripéties de cette histoire car les nominés sont évidemment invités à choisir leur camp. Patrick Senécal, en nomination pour Hell.com expliquait qu'il ne voulait pas être retiré de la liste des nominés, mais qu'il se refusait à donner des entrevues au Journal de Montréal depuis le début du lock-out et qu'il jugeait que c'était bien suffisant. Là où lui devint suffisant, c'est quand il se permis de blaguer sur le fait que M. Courtemanche devrait peut-être aussi demander à ce que ses livres soient retirés desdites librairies. La question qui aurait dû être ici soulevée est justement la difficulté pour n'importe quel artiste d'éviter les tentacules de Québécor. Michel Vézina envoyait d'ailleurs une pique à Biz, également en nomination, dans sa chronique de Montréal Express du 30 novembre sous-entendant que le silence du chanteur (qui n'a habituellement pas la langue dans sa poche) était peut-être dû au fait que les disques de Loco Locass sont distribués par Sélect, autre bras de l'empire. Il me semble difficile de croire que cet état de fait pourrait être la cause du silence de Biz : Sélect a davantage besoin de Loco que l'inverse me semble-t-il, mais si c'est bel et bien le cas, ben ça va mal à' shop gang. On garde un oeil là-dessus.

Je vous avais donc laissé sur votre faim la dernière fois en ne commentant pas les lauréats québécois de quelques-uns des prix littéraires décernés dans la dernière année. Je reprend donc le fil de mon propos en vous parlant des oeuvres de Marc Séguin, de Michèle Plomer et de Perrine Leblanc. J'ai déjà commenté L'Énigme du retour de Laferrière l'an dernier lors de sa parution. Je vous invite donc à aller consulter ce texte puisqu'il propose aussi un panorama plus global de l'oeuvre de M. Laferrière. Commençons donc avec la lauréate la plus récente, Perrine Leblanc.

L'homme blanc vient de remporter le prix de la ville de Montréal et a également été retenu sur la liste préliminaire du prix des libraires du Québec. Les critiques émanant de diverses publications sont toutes plus élogieuses les unes que les autres (Danielle Laurin parlait d'ailleurs dans Le Devoir de la « naissance d'une écrivaine »). Ces critiques, bien que méritées, me semblent un tantinet exagérées, teintées d'un certain réflexe de colonisé. Je m'explique. Ce roman est en effet d'une justesse admirable. Il n'y a pas un mot de trop dirait-on, pas une phrase qui ne se révèle nécessaire à la progression de l'action, pas un personnage auquel on ne croit pas, aucune péripétie qui pourrait nous apparaître tirée par les cheveux, bref un roman lisse, parfait. Ceci étant dit, c'est justement là où le bât blesse : la voix de l'écrivaine ne me semble pas percée à travers ce récit et je me dit que si ce livre avait été écrit par un étranger, ou si l'histoire qu'il nous raconte ne se déroulait pas en Russie communiste mais dans le Québec de la grande noirceur, il serait peut-être bien passé inaperçu. Comprenez moi bien : ce livre mérite certainement d'être lu, l'auteure a beaucoup de talent et on y sent un travail d'élagage qui relève presque de l'obsession-compulsion mais je persiste à croire que le tintamare qui l'entoure provient majoritairement du fait que l'histoire se passe ailleurs qu'au Québec. Je pose alors la question : a-t-on reproché à Dostoïevski de ne pas écrire sur l'Italie? Ben non. Et j'ajouterai un autre couac à ce concert d'éloge : des deux romans parus aux éditions du Quartanier cet automne, celui de Patrick Roy (La ballade de Nicolas Jones) m'a davantage plût et j'entend dans ce roman une voix qui en plus de renouveller la dick-lit de trentenaires urbains perdus, se donne à lire dans un style époustouflant qui rappelle plus le foisonnement de la forêt boréale que la perfection du jardin anglais. Jetez-y un oeil.

HKPQ de Michèle Plomer fait partie de ces quelques livres que j'ai lus il y a maintenant plus d'un an et dont il me reste des souvenirs très précis. À la quantité de livres que je lis, c'est un signe qui ne ment pas. Elle a remporté le prix France-Québec décerné par un jury de 500 lecteurs et pour lequel elle était en nomination aux côtés de Maléficium de Martine Desjardins et du Rodeur de la paramount de Pierre Fortin. HKPQ est presque l'antithèse de L'homme blanc : narration accidentée, histoire qui ne se laisse jamais complètement dépouillée de ses mystères, imagerie exotique, et personnages plus opaques que translucides. Ce deuxième roman de l'auteure (son premier s'intitule Le jardin sablier et était également une réussite en forme de court opus réaliste à la gloire et aux déboires du jardinier) nous propose un ton très différent et laisse présager que cette auteure pourrait être de ces écrivains capables de pondre des livres qui se distinguent tant les uns des autres qu'ils finissent par n'avoir en commun que le nom de leur auteure. C'est rare. Cette plongée dans la Chine moderne à travers les yeux d'une québécoise est un délice pour le lecteur surtout pour la place faite à son imagination car l'auteure y laisse en suspend plusieurs fils qu'un écrivain plus traditonnel n'aurait pu s'empêcher de développer. Ce point en particulier m'a rappelé Blow up, le film d'Antonioni, pour son habileté à déjouer les attentes du lecteur. En passant, les éditions du Marchand de feuilles auraient tout intérêt à revenir à ce genre de graphisme pour leur couvertures car, bien que l'habit ne fasse pas le moine, la laideur ordinaire attire rarement...

Voici donc le dernier mais non le moindre : Marc Séguin. Bien que cet auteur soit un nouveau venu sur la scène littéraire, c'est déjà un peintre fort renommé. Il fait partie des rares êtres imbus d'eux-mêmes qui ont parfaiement raison de l'être. Une collègue me racontait que lorsqu'elle avait chroniqué La foi du braconnier, elle avait reçu un courriel de la part de l'artiste lui disant qu'il était heureux de voir qu'il y avait encore, au Québec, des gens qui savaient lire; ça vous donne une idée du personnage. Il a remporté le prix des collégiens et, ma foi, ce prix est tout à fait mérité. La foi du braconnier raconte l'histoire d'un métis et prend la forme d'un « roman de la route » agrémenté de scènes de braconnage d'un réalisme décontenançant et de recettes alléchantes que ne renieraient pas Martin Picard et qui feront saliver les gourmets les plus aventureux. Mais c'est surtout une histoire de désenchantement, de perte, de rupture. Un immense fuck you à l'échelle du continent nord-américain, un pied-de-nez à la rectitude politique. L'histoire est simple, dépouvue de rebondissement digne de ce nom bien qu'un mystère y plane du début à la fin. Des paysages sauvages qu'on aimeraient bien visiter, des lieux qui sentent la bière éventée, des personnages qui nous séduisent non pas par leur douceur ni leur grandeur d'âme mais bien par leur complexité qui ne se laisse jamais tout à fait percer à jour. N'hésitez pas à vous joindre à Séguin pour son tour d'Amérique : vous ferez un voyage étonnant qu ne vous laissera pas indemne. Et bravo aux étudiants pour leur choix!

Bonne lecture,

Mizz Garce

mardi 23 novembre 2010

De récompenses et autres considérations

Chaque automne ramène inlassablement les remises des différents prix littéraires et les feuilles colorées. Que l'ont critique le mérite des primés, que l'on laisse entendre que les décisions sont encadrées par des raisons peu recommandables qui n'ont rien à voir avec le degré poétique atteint par l'oeuvre, que les amis de l'un ont là fait la différence, que les inimitiés de l'autre lui aient ici coûté la palme, il n'en demeure pas moins que la plupart des titres primés méritent d'être lus (j'ajouterais même que les sélections entières des diverses récompenses méritent qu'on y jette un oeil). Ceci était un édito. Et les feuilles colorées ne sont déjà plus.

Étant donné qu'il y a plus de 1500 prix en France seulement, je ne peux même pas imaginer le nombre de récompenses littéraires décernées chaque année dans le monde. Ça me fait peur. Je vous invite à retenir les plus évidents : la pression médiatique à laquelle leurs jurys sont soumis me laisse croire qu'on y trouve une certaine dose de professionnalisme. Vous verrez que ma liste est très occidentalo-centrée (une première sélection naturelle donc). Le Nobel d'abord, qui récompense non pas un livre mais l'oeuvre d'un écrivain -les Irlandais mènent la course-, le Goncourt qui couronne le meilleur roman français de l'année et son pendant lycéen, les Médicis français et étranger, reconnus pour donner une importance particulière au style, les Féminas, dont le jury est composé de femmes, les Renaudots, deux volets également, le Pulitzer, américain celui-là, le Man Booker prize qui est décerné par les Anglais. Au Québec, surveiller le prix Ringuet, de l'académie des lettres du Québec, le prix Robert-Cliche et le prix Anne-Hébert, attribués à un premier roman, le prix Athanase-David, remis par le gouvernement du Québec pour l'ensemble de l'oeuvre, les prix du gouverneur général, le prix des collégiens, le prix des libraires et le prix du salon du livre de Montréal décerné par le public (les visiteurs du salon).

Les lauréats de cette année sont pour la plupart déjà connus. Je me limiterai à ceux que j'ai lus; je vous laisse faire vos recherches pour les autres. Voici donc ma liste personnelle : Michel Houellebecq (Goncourt), Virginie Despentes (Renaudot), David Vann (Médicis étranger), R.J.Ellory (Libraires QC), Dany Laferrière (fait), Marc Séguin (Collégiens), Perrine Leblanc (Ville de Montréal) et Michèle Plomer (France-Québec).

Le gagnant du Goncourt 2010 est Michel Houellebecq, un de nos grands auteurs contemporains. Il compte plusieurs écrits (essai, poésie, roman) à son actif dont certains ont davantage fait parler que d'autres. J'ai particulièrement aimé Plateforme qui demeure pour moi son meilleur roman bien que La carte et le territoire, le livre qui lui aura mérité le titre prestigieux, fasse parti des romans de cette année qu'il faille absolument lire. L'histoire suit la vie de Jed Martin (1976-2066, selon les indices), artiste visuel (photographe/peintre/...), s'attarde à sa production artistique, à la scène mondaine française, à sa vie amoureuse -parcellaire-, à sa relation à son père -cérébrale-, aux rencontres qui marquent une vie (celle avec l'écrivain Houellebecq, entre autres). Ce résumé, plat, n'est pas à même de rendre ni la virtuosité de la narration, les jeux qui s'y installent, ni non plus le rythme qui colle aux propos (rapide et parfois haché lors des phases de production artistiques, quasi-lyrique dans les descriptions de la campagne française ou irlandaise). C'est un de ces romans qui démontre la toute-puissance de la fiction en la cadrant de réel. Tout y est si vrai (personnages secondaires, lieux, détails techniques en photographie par exemple), ou si crédible (transformation du tourisme français, oeuvre de Martin -que l'on a envie de rechercher dans Google Images-,actualités tant locales qu'internationales) que le lecteur se surprend d'être surpris et ce à de nombreuses reprises, dérouté par un narrateur omniscient. Beaucoup de plaisir et une intrigue policière sauce houellebecquoise en bonus.

La gagnante du Renaudot est une auteure que je connaissais par un essai (King Kong theory, un point de vue original sur le féminisme au XXIe siècle) et un film (Baise-moi, une sorte de Natural born killer féministe de série B) et qui se révèle être aussi une romancière de talent. Nous pourrions penser dans les premières pages que sommes ici dans le récit pour le récit puisque l'intrigue apparaît centrée sur la recherche d'une adolescente en fugue, fille d'un écrivain connu. Les aléas de l'enquête, menée de front pas deux femmes différentes au possible, ne laisse pas beaucoup de temps de réflexion au lecteur. La première narratrice demeure un des seul personnage avec qui un lecteur disons normal pourra trouver un repère et pourtant, il suffit à l'auteure d'une scène pour peindre un milieu précis, d'une réplique pour que l'on mesure l'amertume du commentaire social, d'un personnage pour faire ressentir une communauté. Les images sont fortes, certaines difficiles à supporter, les dialogues souvent lapidaires, les portraits, étonnants. C'est une belle réussite dans laquelle on sent une liberté de dire et de montrer qui fait du bien. Et la Hyène... La Hyène!!! Vous m'en direz des nouvelles.

Le Médicis est un prix qui a été décerné en 2008 à un roman que j'ai déjà envie de relire et qui se classe pour moi parmi les chef-d'oeuvres contemporains : Là où les tigres sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès (et un nom!). L'année dernière, Dany Laferrière en a été le récipiendaire avec L'Énigme du retour. Cette année, le prix est allé à David Vann et son troublant Sukkwan Island. Tout a commencé quand un collègue m'en a fortement suggéré la lecture; c'était ce qu'il avait « lu de plus fort en français depuis un boutte ». Je pars avec le roman ce soir là et l'ouvre en début de soirée. Dès les premières pages, le lecteur sait qu'il n'est pas en zone de confort, mais il n'est pas encore capable d'identifier clairement la raison de son angoisse. Les descriptions sont magnifiques (c'est en Alaska) et malgré les événements, de plus en plus inquiétants, on se surprend à se plaire dans les gestes quotidiens et puis... J'ai pris le téléphone et ai appelé à la librairie. C'est le bon collègue qui a répondu et je ne lui ai même pas dit bonjour, je lui ai soufflé : « Non. C'est pas sérieux. Non. Il ne peut pas faire ça! » Deux secondes se sont peut-être écoulées et il a éclaté de rire. Nous avons ensuite jasé de la raison de mon état mais je ne vous en dirai rien de plus sinon que d'ici à la fin de ce roman j'ai corné au moins 4 pages (et je ne suis pas une corneuse) et j'ai eu envie de rappeler ledit collègue au moins 3 autres fois. Il y a, dans ce livre, des phrases qui vous font presque regretter de bien savoir lire.

Voici enfin un auteur avec qui j'ai pu m'entretenir lors de son dernier passage à Montréal. Nous avions discuter du doute qui assaille constamment l'auteur qui n'a de cesse de se demander s'il est un écrivain, un vrai. Car, voyez-vous, M. Ellory a écrit huit romans avant de trouver un éditeur. Il a arrêté d'écrire à plusieurs reprise pour s'y remettre ensuite avec plus de fièvre. Et, comme vous l'aurez deviné, il a enfin trouvé un éditeur, puis un traducteur. Seul le silence fût le premier à paraître en français. Je l'avais lu et avait bien aimé l'écriture, le rythme (très lent, rare dans le genre) et l'atmosphère globale (j'aurais mis ma main au feu qu'il était né dans le sud des États-Unis alors qu'en fait il est British). Mais je me souviens avoir détesté la fin que d'autres ont adorée. Va savoir. Pas de retenue de ce genre avec Vendetta, titre pour lequel il a remporté le prix des libraires du Québec : un excellent « srillère » comme le disent les Français. La fille du gouverneur de la Nouvelle-Orléans est kidnappée et le kidnappeur, un tueur à gage de la mafia, se livre aux autorités dans le but de raconter sa vie, condition qu'il pose à la libération de l'otage. L'histoire de l'Amérique glauque des 60 dernières années, des personnages tordus, des moments de délices sombres, un maëlstrom d'ingrédients noirs pour un policier éblouissant. À lire. Son nouveau vient tout juste de paraître : il est sur mon radar.

Bon, c'est assez. Je vous fais les Québécois une autre fois. Votre libraire,

La garce des livres XXX


mardi 2 février 2010

Errances

Alors voilà : je prépare un texte sur Nelly Arcan depuis un bout de temps et n'arrive pas à mettre en mots, de façon satisfaisante, ce que son oeuvre m'a fait vivre. Le texte viendra en temps et lieu. Entre temps, j'ai décidé de faire le marathon de lecture proposé par le Prix des libraires du Québec et j'y ai découvert plusieurs perles. Je prépare donc un texte sur le sujet. À bientôt.

Votre Mizz Garce XXX

jeudi 22 octobre 2009

Des vampires


La lignée
ou les vampires comme maladie

J'ai terminé hier soir le premier tome d'une trilogie ayant pour thème les vampires écrit par Guillermo Del Toro et Chuck Hogan. J'annonçais dans ma dernière chronique la parution de ce livre. « Alors? » me direz-vous. C'est un bon livre, écrit comme on filme. L'effet « quatre mains » (nous y reviendrons tout à l'heure) ne se fait pas sentir du tout et bien que l'on voit davantage qu'on ne s'imagine les différentes scènes, il y a beaucoup d'inventivité chez ce duo. Tout bon auteur qui choisit de revisiter des thèmes classiques en espérant ajouter une brique, plutôt qu'un gravat, à l'édifice est tenu de se questionner longuement sur les lacunes du thème ou sur les conséquences que peut faire naître sa vision personnelle du sujet. Sur les vampires par exemple, il faut répondre (ou du moins esquisser des hypothèses) à plusieurs questions. Sur leur nature d'abord (sont-ils humains?), leurs limites (sont-elles celles décrites jusqu'ici, sinon pourquoi?), leurs forces et faiblesses ensuite (pourquoi?comment?quand?), le fait qu'on les méconnaisse (si les vampires existent, pourquoi ne les a-t-on pas vus sur YouTubeTM?), et, bien entendu, sur les effets qu'ils produisent dans une communauté donnée. Del Toro et Hogan répondent bel et bien à ces questions et celles qu'ils laissent dans la pénombre trouveront certainement leurs réponses dans les deux autres tomes à venir.
Un bon rythme, sans style particulier par contre, mais surtout une bonne histoire qui commence comme un clin d'oeil à Stephen King1; pas à Salem par contre, mais bien à une nouvelle parue dans Rêves et cauchemars intitulée Le rapace nocturne. Le traitement réaliste et contemporain cher à King s'applique dans La lignée. C'est une contribution qui renouvelle le genre : les vampires sont ici des vecteurs de virus qui transforment l'être infecté en créature suçeuse de sang équipée pour se faire d'un aiguillon creux rappelant à la fois le dard des insectes piqueurs et la trompe à aspirer des mouches... C'est une vision très moderne du vampire s'incarnant dans un monde aseptisé, terrifié par les microbes. C'est aussi un prétexte amusant pour montrer les limites des sciences cartésiennes : deux des principaux personnages (qui n'ont guère de chair, reconnaissons-le) travaillent d'ailleurs au Center for Disease Control des USA et se révèlent être de piètres adjuvants dans l'avènement d'un destin heureux pour leurs concitoyens et, plus globalement, pour le monde entier). L'action se passe à Manhattan, aujourd'hui, sauf pour quelques épisodes ayant pour décor l'Europe de la seconde guerre mondiale. C'est à lire si c'est dans vos cordes. J'attend le prochain tome avec une certaine curiosité.

Dracula l'immortel
ou comment (tenter de) détruire un mythe moderne

Les livres dits « à quatre mains » m'ont toujours parus suspects; comment peut-on écrire à deux lorsqu'il est déjà difficile de déterminer seul la voie qu'empruntera l'histoire? Si le livre dont il est question ci-haut est l'exception qui confirme la règle, celui de Dacre Stoker et Ian Holt me conforte dans mes préjugés. Je ne vous cacherai pas, chers lecteurs, que mes attentes envers cette suite de Dracula étaient élevées, mais elles ne sauraient expliquer mon jugement plutôt dégoûté. Ces deux auteurs (et les 70 héritiers qui ont approuvé cette suite!) devaient être dans une dimension qu'il m'est impossible d'envisager tant le résultat est insignifiant. Soit il se vend de la bonne drogue chez nos amis Anglais, soit personne n'a eu le courage de leur dire que ce livre devait absolument être retravaillé. Massacrons donc dans la joie.
Un rappel d'abord d'une scène que vous avez bien des chances d'avoir lue ou vue : dans Misery de Stephen King, Annie Wilkes2, la charmante infirmière qui soigne (si bien!) Paul Sheldon, lui pique une sainte colère lorsqu'en débutant la suite de Misery's child ce dernier triche en oblitérant la scène où l'héroïne meure et commence le nouveau roman comme si elle avait été sauvée de justesse, que sa mort n'était jamais advenue. Miss Wilkes ne le digère tout simplement pas. Je souhaiterais que nos auteurs aient dû lui présenter leur manuscrit car elle aurait pu leur rappeler, avec sa diplomatie légendaire, que « Dracula se déroule en 1893 et non en 1888! Biscornouilles de biscornouilles!!! » et puis leur passer dessus avec sa tondeuse à gazon (ce qui aurait empêché cette calamité de paraître).
Lorsqu'on s'attaque à la suite d'un classique, la moindre des choses serait d'en respecter le contenu et la chronologie interne du récit. Mais si les auteurs l'avaient fait, ils n'auraient pas pu faire coïncider l'apparition de Dracula en Angleterre avec la série de meurtre de Jack l'éventreur. Vous me direz : « Mais que vient faire Jack l'éventreur dans ce roman? » et bien, rien, justement. C'est une des trames de l'histoire qui a pour but de masquer la maigreur du canevas principal. On en rajoute en attribuant finalement les meurtres de l'éventreur à une femme alors que n'importe quel amateur de serial killer vous dira que c'est impossible puisque qu'une femme n'éjacule habituellement pas (de sperme s'entend...). Mais qu'à cela ne tienne, ils ne se sont pas arrêtés en si bon chemin. Pourquoi Dracula ne serait-il pas un bon croyant, dévoué à Dieu? D'accord, il doit se nourrir de sang, mais volons donc à Anne Rice sa bonne idée et faisons-lui tuer seulement des meurtriers, violeurs, batteurs d'enfant et autres joyeux lurons de cet acabit (lecteurs oubliez l'oeuvre originale!!!); si cette manière de faire est parvenu à déculpabiliser Lestat, ça fonctionnera pour Dracula. On nous prend pour des con(ne)s.
Si les faiblesses du texte se cantonnaient à ces libertés, ma plume ne serait pas si affûtée. Vous devinez que ce n'est pas le cas. La forme originale (extraits de journaux intimes, lettres, coupures de presse...) n'a pas non plus été respectée, trop ardu j'imagine. Le caractère des personnages dépeints par Bram Stoker a été oblitéré avec pour excuse le temps qui passe. Peut-être un malaise avec le style fin 19e de l'auteur? Que nenni puisque même leur nouvelles créations (le fils de Mina et de Jonathan, l'inspecteur Cotford, la comtesse Bathory,etc...) ne sont pas crédibles. De sautes d'humeur en décisions qui apparaissent au lecteur tant obscures qu'absurdes, les protagonistes courrent de tous les côtés pour faire oublier leur vacuité, leur évanescence, ne réussissant qu'à les souligner. Aucun de ces personnages ne trouvera sa place dans l'histoire de la littérature à moins que la médiocrité ne finisse par l'emporter haut la main dans l'ensemble du milieu littéraire mondial (et encore!). Ajoutons à cela quelques combats de Katana (ça fera de belles scènes au cinéma, très modernes, très Hannibal Lecter épris d'une geisha..) et une fin qu'on aura vu venir depuis la quarantième page même en étant inattentif : « Luc je suis ton père » devient « Quincey, je suis ton père » à l'issue de la bataille finale devant l'abbaye de Carfax, Dracula jouant les Darth Vader et le fils de Mina, campant celui de Luc. Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin et faisons appel au slashers américains : ressucitons (encore) Dracula et faisons le embarquer sur le... Titanic pour une traversée de l'Atlantique! Peut-être que ce dernier ne coulera pas pour les besoins de l'histoire et verra débarquer à New York un Vlad flambant neuf car, malheureusement, le deuxième tome est en germe dans tout le roman de manière plus qu'agaçante puisqu'on tente de nous aguicher avec des questions secondaires qui n'y parviennent tout simplement pas.
Les arbres auraient dû rester debout plutôt que de servir de lit à ce déplorable ramassis de conneries. Pour ceux qui seraient tentés d'objecter que le roman est imprimé sur du papier recyclé et bien je soutiens qu'il aurait mieux vallu qu'il soit réutilisé sous forme de rouleau participant à l'hygiène corporelle la plus élémentaire. Et mon fiel qui n'est même pas tarit...

Votre libraire,
la garce des livres XXX

1Vous aurez remarqué que ma méthode de critique littéraire est le stephenkingesque. Je vous promet un jour de m'attarder sur le roman que je considère le plus sous-estimé de la littérature américaine et qui est de son cru.
2Aviez-vous remarqué que le patronyme de cette psychopathe rappelle celui d'une des héroïne littéraire reconnue pour être la bonté et la douceur incarnées? Je vous le donne en mille : Mélanie Wilkes, la belle-soeur de Scarlett O'Hara! Je ne sais pas si l'auteur l'a fait consciemment...