mardi 23 novembre 2010

De récompenses et autres considérations

Chaque automne ramène inlassablement les remises des différents prix littéraires et les feuilles colorées. Que l'ont critique le mérite des primés, que l'on laisse entendre que les décisions sont encadrées par des raisons peu recommandables qui n'ont rien à voir avec le degré poétique atteint par l'oeuvre, que les amis de l'un ont là fait la différence, que les inimitiés de l'autre lui aient ici coûté la palme, il n'en demeure pas moins que la plupart des titres primés méritent d'être lus (j'ajouterais même que les sélections entières des diverses récompenses méritent qu'on y jette un oeil). Ceci était un édito. Et les feuilles colorées ne sont déjà plus.

Étant donné qu'il y a plus de 1500 prix en France seulement, je ne peux même pas imaginer le nombre de récompenses littéraires décernées chaque année dans le monde. Ça me fait peur. Je vous invite à retenir les plus évidents : la pression médiatique à laquelle leurs jurys sont soumis me laisse croire qu'on y trouve une certaine dose de professionnalisme. Vous verrez que ma liste est très occidentalo-centrée (une première sélection naturelle donc). Le Nobel d'abord, qui récompense non pas un livre mais l'oeuvre d'un écrivain -les Irlandais mènent la course-, le Goncourt qui couronne le meilleur roman français de l'année et son pendant lycéen, les Médicis français et étranger, reconnus pour donner une importance particulière au style, les Féminas, dont le jury est composé de femmes, les Renaudots, deux volets également, le Pulitzer, américain celui-là, le Man Booker prize qui est décerné par les Anglais. Au Québec, surveiller le prix Ringuet, de l'académie des lettres du Québec, le prix Robert-Cliche et le prix Anne-Hébert, attribués à un premier roman, le prix Athanase-David, remis par le gouvernement du Québec pour l'ensemble de l'oeuvre, les prix du gouverneur général, le prix des collégiens, le prix des libraires et le prix du salon du livre de Montréal décerné par le public (les visiteurs du salon).

Les lauréats de cette année sont pour la plupart déjà connus. Je me limiterai à ceux que j'ai lus; je vous laisse faire vos recherches pour les autres. Voici donc ma liste personnelle : Michel Houellebecq (Goncourt), Virginie Despentes (Renaudot), David Vann (Médicis étranger), R.J.Ellory (Libraires QC), Dany Laferrière (fait), Marc Séguin (Collégiens), Perrine Leblanc (Ville de Montréal) et Michèle Plomer (France-Québec).

Le gagnant du Goncourt 2010 est Michel Houellebecq, un de nos grands auteurs contemporains. Il compte plusieurs écrits (essai, poésie, roman) à son actif dont certains ont davantage fait parler que d'autres. J'ai particulièrement aimé Plateforme qui demeure pour moi son meilleur roman bien que La carte et le territoire, le livre qui lui aura mérité le titre prestigieux, fasse parti des romans de cette année qu'il faille absolument lire. L'histoire suit la vie de Jed Martin (1976-2066, selon les indices), artiste visuel (photographe/peintre/...), s'attarde à sa production artistique, à la scène mondaine française, à sa vie amoureuse -parcellaire-, à sa relation à son père -cérébrale-, aux rencontres qui marquent une vie (celle avec l'écrivain Houellebecq, entre autres). Ce résumé, plat, n'est pas à même de rendre ni la virtuosité de la narration, les jeux qui s'y installent, ni non plus le rythme qui colle aux propos (rapide et parfois haché lors des phases de production artistiques, quasi-lyrique dans les descriptions de la campagne française ou irlandaise). C'est un de ces romans qui démontre la toute-puissance de la fiction en la cadrant de réel. Tout y est si vrai (personnages secondaires, lieux, détails techniques en photographie par exemple), ou si crédible (transformation du tourisme français, oeuvre de Martin -que l'on a envie de rechercher dans Google Images-,actualités tant locales qu'internationales) que le lecteur se surprend d'être surpris et ce à de nombreuses reprises, dérouté par un narrateur omniscient. Beaucoup de plaisir et une intrigue policière sauce houellebecquoise en bonus.

La gagnante du Renaudot est une auteure que je connaissais par un essai (King Kong theory, un point de vue original sur le féminisme au XXIe siècle) et un film (Baise-moi, une sorte de Natural born killer féministe de série B) et qui se révèle être aussi une romancière de talent. Nous pourrions penser dans les premières pages que sommes ici dans le récit pour le récit puisque l'intrigue apparaît centrée sur la recherche d'une adolescente en fugue, fille d'un écrivain connu. Les aléas de l'enquête, menée de front pas deux femmes différentes au possible, ne laisse pas beaucoup de temps de réflexion au lecteur. La première narratrice demeure un des seul personnage avec qui un lecteur disons normal pourra trouver un repère et pourtant, il suffit à l'auteure d'une scène pour peindre un milieu précis, d'une réplique pour que l'on mesure l'amertume du commentaire social, d'un personnage pour faire ressentir une communauté. Les images sont fortes, certaines difficiles à supporter, les dialogues souvent lapidaires, les portraits, étonnants. C'est une belle réussite dans laquelle on sent une liberté de dire et de montrer qui fait du bien. Et la Hyène... La Hyène!!! Vous m'en direz des nouvelles.

Le Médicis est un prix qui a été décerné en 2008 à un roman que j'ai déjà envie de relire et qui se classe pour moi parmi les chef-d'oeuvres contemporains : Là où les tigres sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès (et un nom!). L'année dernière, Dany Laferrière en a été le récipiendaire avec L'Énigme du retour. Cette année, le prix est allé à David Vann et son troublant Sukkwan Island. Tout a commencé quand un collègue m'en a fortement suggéré la lecture; c'était ce qu'il avait « lu de plus fort en français depuis un boutte ». Je pars avec le roman ce soir là et l'ouvre en début de soirée. Dès les premières pages, le lecteur sait qu'il n'est pas en zone de confort, mais il n'est pas encore capable d'identifier clairement la raison de son angoisse. Les descriptions sont magnifiques (c'est en Alaska) et malgré les événements, de plus en plus inquiétants, on se surprend à se plaire dans les gestes quotidiens et puis... J'ai pris le téléphone et ai appelé à la librairie. C'est le bon collègue qui a répondu et je ne lui ai même pas dit bonjour, je lui ai soufflé : « Non. C'est pas sérieux. Non. Il ne peut pas faire ça! » Deux secondes se sont peut-être écoulées et il a éclaté de rire. Nous avons ensuite jasé de la raison de mon état mais je ne vous en dirai rien de plus sinon que d'ici à la fin de ce roman j'ai corné au moins 4 pages (et je ne suis pas une corneuse) et j'ai eu envie de rappeler ledit collègue au moins 3 autres fois. Il y a, dans ce livre, des phrases qui vous font presque regretter de bien savoir lire.

Voici enfin un auteur avec qui j'ai pu m'entretenir lors de son dernier passage à Montréal. Nous avions discuter du doute qui assaille constamment l'auteur qui n'a de cesse de se demander s'il est un écrivain, un vrai. Car, voyez-vous, M. Ellory a écrit huit romans avant de trouver un éditeur. Il a arrêté d'écrire à plusieurs reprise pour s'y remettre ensuite avec plus de fièvre. Et, comme vous l'aurez deviné, il a enfin trouvé un éditeur, puis un traducteur. Seul le silence fût le premier à paraître en français. Je l'avais lu et avait bien aimé l'écriture, le rythme (très lent, rare dans le genre) et l'atmosphère globale (j'aurais mis ma main au feu qu'il était né dans le sud des États-Unis alors qu'en fait il est British). Mais je me souviens avoir détesté la fin que d'autres ont adorée. Va savoir. Pas de retenue de ce genre avec Vendetta, titre pour lequel il a remporté le prix des libraires du Québec : un excellent « srillère » comme le disent les Français. La fille du gouverneur de la Nouvelle-Orléans est kidnappée et le kidnappeur, un tueur à gage de la mafia, se livre aux autorités dans le but de raconter sa vie, condition qu'il pose à la libération de l'otage. L'histoire de l'Amérique glauque des 60 dernières années, des personnages tordus, des moments de délices sombres, un maëlstrom d'ingrédients noirs pour un policier éblouissant. À lire. Son nouveau vient tout juste de paraître : il est sur mon radar.

Bon, c'est assez. Je vous fais les Québécois une autre fois. Votre libraire,

La garce des livres XXX


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