mercredi 9 février 2011

Full dark, no stars

J'ai triché. J'ai certaines lectures qui me sont assignées et qui devraient prendre tout mon temps. Malgré mon sens du devoir, je n'ai pu m'empêcher de plonger dans le dernier Stephen King, Full dark, no stars. Voyez-vous, il est apparu en librairie fin novembre. Je commençai alors à l'emprunter pendant mes pauses, me dédouanant ainsi de ma culpabilité. Un délice, évidemment. Un livre qui vous fait vous esclaffer devant la chef-caissières qui mange ses nouilles en styromousse en levant les yeux au dessus de sa cuillère, vaguement intriguée, signal que vous pouvez lui résumer la bonne blague :

- La fille vient de se faire violer solide et elle rentre à pieds chez elle, sous le choc. Un moment donné, elle passe devant un bar de bord de route, elle entend un groupe jouer une chanson des Cramps, Can your pussy do the dog?.

Je penche les yeux sur le livre, retrouve le passage et lis :

- « No, Tess tought, but today a dog certainly did my pussy. »1

Et je la regarde, attendant qu'elle éclate de rire, pensant presque instantanément qu'elle est peut-être la fille sur trois qui s'est fait agresser... mais elle finit par sourire après avoir sifflé ses nouilles :

- Humpf, crisse, c'est dark! Mais in' bonne pareil!

Je replonge dans ma lecture. L'extrait est tiré de la deuxième nouvelle, titrée Big driver, ou « Et si un tueur en série tombait sur la victime qu'il ne lui fallait pas? ».

Ce recueil est une des réussite de King. Cet auteur a une singulière particularité : il excelle dans deux formes2, dont une qu'il a, je crois, quasi-inventée. La première est la brique. Ça, Le Fléau, La tour sombre, Sac d'os et bientôt Le dôme...3 La deuxième, celle qui nous intéresse ici, est la longue nouvelle (60-120 pages). Il y a en quatre dans ce livre, à l'image de Différentes saisons (et d'autres recueils peut-être, sûrement), qui est un autre des summum de King (dont ont d'ailleurs été tiré trois films : Apt pupil (Ian McKellen), Shawshank redemption (Tim Robbins, Morgan Freeman) et Stand by me (River Phoenix, Corey Feldman). La dernière ferait un très bon court métrage.

Je dirais que la principle force de SK réside dans ses personnages : ils sont tout à fait crédibles. Ils sont pleins: en chair, en sang, en muscles, animés d'une psychologie réaliste quoiqu'un peu bavarde. On y croit et c'est ce qui fait qu'on les suive, qu'on tourne les pages comme on le fait, qu'on soupire à la fin de 10 minutes et qu'on décide d'en prendre 2 de plus : on a de la difficulté à les abandonner à leur sort (souvent mauvais dans l'univers kingesque...).

La première nouvelle m'a ravie sur ce point. C'est une des très bonnes histoires que j'ai lues dans ma vie et, dans l'oeuvre de King, elle entre en écho avec un roman prenant la forme d'un long monologue, celui de Dolorès Claiborne, accusée du meurtre de sa patronne et qui se raconte aux policiers. 1922 est une confession écrite narrant les évènements charnières s'étant déroulés cette année-là dans la vie de l'auteur de ladite confession, Wilf. Je ne sais pas comment vous le faire comprendre, mais j'avais l'impression, en lisant des caractères d'imprimerie sur une pâte de papier, d'entendre le débit de ce que je crois être l'accent du Nebraska des années vingt. La réalité quotidienne et ses préoccupations, les mentalités de l'époque, les normes sociales, enfin tout se mêlent pour nous permettre de voir et d'entendre, de vivre presque. Le sujet est aussi en résonnance avec Dolorès puisqu'on y avoue un meurtre. Un meurtre dont l'horreur et la cruauté de ce qu'on imagine être l'expérience d'enlever la vie à un être humain, sont telles, que l'on peut être forcé de poser le livre. Le narrateur nous dit d'ailleurs, et c'est clairement, pour moi, une adresse de l'auteur au lecteur :

« Here is something I learned in 1922 : there are always worst things waiting. You think you have seen the most terrible thing, the one that coalesces all your nightmares into a freakish horror that actually exists, and the only consolation is that there can be nothing worse. Even if there is, your mind will snap at the sight of it, and you will know no more. But there is worse, your mind does not snap and somehow you carry on. »4

Le propos de cette nouvelle, celui de la culpabilité peut-être, ou bien de la vengeance, c'est selon, est résolument actuel, bien que le récit prenne place au siècle dernier -j'ai toujours eu hâte d'écrire ça en conservant de la pertinence!-. Je dis c'est selon parce qu'il s'agit d'un récit faisant une belle part à l'interprétation du lecteur, particulièrement au sens qu'il prêtera à la dernière pièce d'information se présentant sous la forme d'un article de journal, effet de réalisme récurrent chez King. Il y a donc moyen d'évacuer tout élément fantastique de la nouvelle ou, au contraire, de les conserver. Possibilité que la troisième nouvelle offre aussi au lecteur.

Celle-là m'a fait jubiler d'emblée puisqu'elle est campée à Derry. Quiquonque est un tant soit peu fan de SK connaît cette ville qui est le cadre de plusieurs de ses histoires dont le gigantesque Ça. Nous y retrouvons un personnage tout à fait à sa place : M. Elvid, vendeur de Fair extensions, le titre de la nouvelle. Elvid, un cousin de Pennywise peut-être, est avant tout apparenté à Leland Gaunt, qui est déjà, lui, passé par Castle Rock. Il vendra une « life extension » à Strether qui le paiera en argent (les âmes sont sans sel désormais) mais surtout en « psychic physic », ses malheurs étant transférés sur les épaules de celui qu'il déteste le plus (je ne vous pas qui c'est, mais c'est un de ces exemples de crédibilité psychologique dont je parlais plus tôt). Bien que plusieurs signes nous attirent sur un versant disons paralittéraire, le lecteur pourrait tout aussi bien conclure qu'aucune force surnaturelle n'est en action dans les années supplémentaires qui côutent 15% de son revenu annuel à Strether. Effet placebo?

Mais est-ce bien là la question qui importe ou ne réside-t-elle pas plutôt dans la morale même de cette histoire, morale encore plus renversante si on opte pour la paralittérature et qu'on admette le caractère monstrueux de Elvid, qu'on lui reconnaisse bel et bien des pouvoir paranormaux? Car la vie peut-elle être si injuste? Et pourquoi ce cadre spatio-temporel historico-géopolitique que l'on ne croise presque jamais dans les livres de l'auteur (j'oserais même avancé jamais)? Existerait-il pour amplifier l'effet « psychic physic » ou bien est-il là pour qu'on le remette davantage en doute, soulignant que le malheur des hommes est bien souvent la récolte des grains qu'ils ont semés? Hum.

La dernière nouvelle aurait, elle, pu s'intituler « Et si vous étiez mariée à un tueur en série? » mais elle porte le titre A good marriage. Parlons de Darcelleen et, pourquoi pas, de toutes les autres. SK est un maître dans la peinture des personnages féminins. Un des seuls qui crée des femmes crédibles, qui, si elle m'agacent, c'est parce que l'auteur le souhaitait. Son talent va jusqu'à me faire prendre cette habileté pour acquise. Remarquez d'ailleurs que la plupart des grands auteurs contemporains évitent les femmes, narratrice ou héroïne; il ne s'est jamais agit, selon moi, de sexisme latent, mais plutôt d'une connaissance de leurs limites. Après tout, même Freud reconnaissait que la femme est un continent noir... Malgré cela, ce talent est tellement inné chez King que 2 des 4 nouvelles du recueil ont pour personnage principale une femme. Tess, the brave one, et Darceleen, la femme qui traverse le miroir. Ce ne sont pas les premières, je vous rappellerais Carrie, Beverly de It,  Annie de Misery...

Revenons donc à Darcelleen qui, après 27 ans d'un mariage heureux bien que tout à fait ordinaire, découvre une cache dans le garage familial. Dans cette cache se trouve les cartes d'identité d'une femme portée disparue et retrouvée morte peu de temps auparavant. Tombée sous les coups, Darcy le sait, elle écoute les nouvelles, d'un tueur en série particulièrement sadique. Tueur qui a également assassiner l'enfant d'une de ses victime, un garçon de 8-9 ans. Darcy comprend. Et plonge dans le miroir. Un conte avec les bons, les méchants, les objets empoisonnés, la chute de l'héroïne, sa rédemption, l'adversaire devenant l'adjuvant (et vive versa). Un extrait :

« She continued to smile at him, but now saw him again (after that brief, loving lapse) for what he was, the darker husband. Gollum with his precious. »5

Quand je parle des formes du conte dans le paragraphe précédent, c'est qu'il en est clairement question. Je dirais, malheureusement il en est question; noir sur blanc. C'est un des défauts de ce recueil, non de l'auteur. Il semblerait qu'avec le temps, le lecteur idéal de SK ait de moins en moins de culture générale, qu'il doive être mis sur les pistes de l'intertextualité de manières plus en plus grossières. Exemple : la référence au conte de Barbe bleue quelques pages seulement après que j'eue éprouvé le contentement d'y penser et de le noter comme une possible clé de lecture. Alice demeure une présence plus discrète, inscrite en négatif dans l'utilisation du miroir comme métaphore dans les scènes où Darcelleen s'y regarde et se remémore ce qu'elle y cherchait quand elle le fixait étant enfant. Un autre endroit ou cet agacement s'est fait sentir : dans Fair extensions, l'auteur souligne le talent pour le scrabble de son protagoniste en nous donnant la solution à l'anagramme (tout de même facile) de Elvid... J'avais compris! Et je suis déçue qu'il donne la réponse à ceux qui auraient négligé l'attention que devrait porter tout lecteur à certains patronymes... Enfin. Trève de critiques: c'est un livre saisissant. Ne boudez pas votre plaisir.

Votre libraire, la garce des livres XXX

1Stephen King, Full dark, no stars, Scribner edition, USA, 2010, p.163
2 Et il est mieux que bon dans le roman disons, plus traditionnel, où il y a aussi des joyaux comme Marche où crève, Rage, Needful things...
3Un de ces monstres paraîtra en français le 7 mars : Le dôme. Mon collègue accro à SK l'a lu en anglais et m'assure que c'est un autre incontournable.
4 Stephen King, Full dark, no stars, Scribner edition, USA, 2010, p. 42
5Idem. p. 339

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