mercredi 1 décembre 2010

Prix littéraires : suite

L'actualité fait souvent bien les choses : entre mon premier blog sur les prix littéraires et celui-ci, qui portera sur les lauréats québécois, une controverse a pris forme autour du prix Archambault alors que Gil Courtemanche a refusé la nomination de son dernier opus en soutient aux jounalistes en lock-out du Journal de Montréal et que Jean-Simon Desrochers a promis de remettre le prix de 10 000$ aux journalistes s'il remportait le vote populaire déterminant le gagnant. On suivra donc les péripéties de cette histoire car les nominés sont évidemment invités à choisir leur camp. Patrick Senécal, en nomination pour Hell.com expliquait qu'il ne voulait pas être retiré de la liste des nominés, mais qu'il se refusait à donner des entrevues au Journal de Montréal depuis le début du lock-out et qu'il jugeait que c'était bien suffisant. Là où lui devint suffisant, c'est quand il se permis de blaguer sur le fait que M. Courtemanche devrait peut-être aussi demander à ce que ses livres soient retirés desdites librairies. La question qui aurait dû être ici soulevée est justement la difficulté pour n'importe quel artiste d'éviter les tentacules de Québécor. Michel Vézina envoyait d'ailleurs une pique à Biz, également en nomination, dans sa chronique de Montréal Express du 30 novembre sous-entendant que le silence du chanteur (qui n'a habituellement pas la langue dans sa poche) était peut-être dû au fait que les disques de Loco Locass sont distribués par Sélect, autre bras de l'empire. Il me semble difficile de croire que cet état de fait pourrait être la cause du silence de Biz : Sélect a davantage besoin de Loco que l'inverse me semble-t-il, mais si c'est bel et bien le cas, ben ça va mal à' shop gang. On garde un oeil là-dessus.

Je vous avais donc laissé sur votre faim la dernière fois en ne commentant pas les lauréats québécois de quelques-uns des prix littéraires décernés dans la dernière année. Je reprend donc le fil de mon propos en vous parlant des oeuvres de Marc Séguin, de Michèle Plomer et de Perrine Leblanc. J'ai déjà commenté L'Énigme du retour de Laferrière l'an dernier lors de sa parution. Je vous invite donc à aller consulter ce texte puisqu'il propose aussi un panorama plus global de l'oeuvre de M. Laferrière. Commençons donc avec la lauréate la plus récente, Perrine Leblanc.

L'homme blanc vient de remporter le prix de la ville de Montréal et a également été retenu sur la liste préliminaire du prix des libraires du Québec. Les critiques émanant de diverses publications sont toutes plus élogieuses les unes que les autres (Danielle Laurin parlait d'ailleurs dans Le Devoir de la « naissance d'une écrivaine »). Ces critiques, bien que méritées, me semblent un tantinet exagérées, teintées d'un certain réflexe de colonisé. Je m'explique. Ce roman est en effet d'une justesse admirable. Il n'y a pas un mot de trop dirait-on, pas une phrase qui ne se révèle nécessaire à la progression de l'action, pas un personnage auquel on ne croit pas, aucune péripétie qui pourrait nous apparaître tirée par les cheveux, bref un roman lisse, parfait. Ceci étant dit, c'est justement là où le bât blesse : la voix de l'écrivaine ne me semble pas percée à travers ce récit et je me dit que si ce livre avait été écrit par un étranger, ou si l'histoire qu'il nous raconte ne se déroulait pas en Russie communiste mais dans le Québec de la grande noirceur, il serait peut-être bien passé inaperçu. Comprenez moi bien : ce livre mérite certainement d'être lu, l'auteure a beaucoup de talent et on y sent un travail d'élagage qui relève presque de l'obsession-compulsion mais je persiste à croire que le tintamare qui l'entoure provient majoritairement du fait que l'histoire se passe ailleurs qu'au Québec. Je pose alors la question : a-t-on reproché à Dostoïevski de ne pas écrire sur l'Italie? Ben non. Et j'ajouterai un autre couac à ce concert d'éloge : des deux romans parus aux éditions du Quartanier cet automne, celui de Patrick Roy (La ballade de Nicolas Jones) m'a davantage plût et j'entend dans ce roman une voix qui en plus de renouveller la dick-lit de trentenaires urbains perdus, se donne à lire dans un style époustouflant qui rappelle plus le foisonnement de la forêt boréale que la perfection du jardin anglais. Jetez-y un oeil.

HKPQ de Michèle Plomer fait partie de ces quelques livres que j'ai lus il y a maintenant plus d'un an et dont il me reste des souvenirs très précis. À la quantité de livres que je lis, c'est un signe qui ne ment pas. Elle a remporté le prix France-Québec décerné par un jury de 500 lecteurs et pour lequel elle était en nomination aux côtés de Maléficium de Martine Desjardins et du Rodeur de la paramount de Pierre Fortin. HKPQ est presque l'antithèse de L'homme blanc : narration accidentée, histoire qui ne se laisse jamais complètement dépouillée de ses mystères, imagerie exotique, et personnages plus opaques que translucides. Ce deuxième roman de l'auteure (son premier s'intitule Le jardin sablier et était également une réussite en forme de court opus réaliste à la gloire et aux déboires du jardinier) nous propose un ton très différent et laisse présager que cette auteure pourrait être de ces écrivains capables de pondre des livres qui se distinguent tant les uns des autres qu'ils finissent par n'avoir en commun que le nom de leur auteure. C'est rare. Cette plongée dans la Chine moderne à travers les yeux d'une québécoise est un délice pour le lecteur surtout pour la place faite à son imagination car l'auteure y laisse en suspend plusieurs fils qu'un écrivain plus traditonnel n'aurait pu s'empêcher de développer. Ce point en particulier m'a rappelé Blow up, le film d'Antonioni, pour son habileté à déjouer les attentes du lecteur. En passant, les éditions du Marchand de feuilles auraient tout intérêt à revenir à ce genre de graphisme pour leur couvertures car, bien que l'habit ne fasse pas le moine, la laideur ordinaire attire rarement...

Voici donc le dernier mais non le moindre : Marc Séguin. Bien que cet auteur soit un nouveau venu sur la scène littéraire, c'est déjà un peintre fort renommé. Il fait partie des rares êtres imbus d'eux-mêmes qui ont parfaiement raison de l'être. Une collègue me racontait que lorsqu'elle avait chroniqué La foi du braconnier, elle avait reçu un courriel de la part de l'artiste lui disant qu'il était heureux de voir qu'il y avait encore, au Québec, des gens qui savaient lire; ça vous donne une idée du personnage. Il a remporté le prix des collégiens et, ma foi, ce prix est tout à fait mérité. La foi du braconnier raconte l'histoire d'un métis et prend la forme d'un « roman de la route » agrémenté de scènes de braconnage d'un réalisme décontenançant et de recettes alléchantes que ne renieraient pas Martin Picard et qui feront saliver les gourmets les plus aventureux. Mais c'est surtout une histoire de désenchantement, de perte, de rupture. Un immense fuck you à l'échelle du continent nord-américain, un pied-de-nez à la rectitude politique. L'histoire est simple, dépouvue de rebondissement digne de ce nom bien qu'un mystère y plane du début à la fin. Des paysages sauvages qu'on aimeraient bien visiter, des lieux qui sentent la bière éventée, des personnages qui nous séduisent non pas par leur douceur ni leur grandeur d'âme mais bien par leur complexité qui ne se laisse jamais tout à fait percer à jour. N'hésitez pas à vous joindre à Séguin pour son tour d'Amérique : vous ferez un voyage étonnant qu ne vous laissera pas indemne. Et bravo aux étudiants pour leur choix!

Bonne lecture,

Mizz Garce