lundi 21 septembre 2009

Portrait de Dracula en 2009

La rentrée littéraire de l'automne est toujours, pour moi, l'occasion d'un marathon de lecture doublé d'une attente (quasi insupportable) des titres annoncés par les différentes maisons d'édition francophones. Si vous avez lu mon dernier blogue, vous savez déjà que je n'avais pas eu à attendre le Laferrière puisque je l'avais reçu en primeur. Il n'en est pas de même pour d'autres titres : la suite de Dracula, par exemple, écrite par son arrière-petit-neveu et l'historien Ian Holt en suivant les notes laissées par Bram lui-même. Un teaser (prononcé tisère)1 nous a été donné à la journée ADP, mais rien de plus depuis. L'éditeur Michel Lafon ne cache pas que ce roman vogue sur la vague vampiresque remise au goût du jour par l'auteure américaine Stefenie Meyer. Il ne sera d'ailleurs pas le seul puisque Guillermo Del Toro, le réalisateur du Labyrinthe de Pan, s'est commis sur le sujet avec le premier tome d'une trilogie déjà paru en anglais et attendu en français cet automne aux Presses de la cité sous le titre La lignée. Il l'a coécrit avec Chuck Hogan (que je n'ai jamais lu).
Les vampires m'ont été révélé par le cinéma d'horreur mais j'eus vite fait de me diriger vers le classique des classiques, Dracula de Bram Stoker. Je me souviens encore de l'effet qu'avait produit sur moi la forme du livre dite épistolaire; je retrouverai plus tard cette forme dans deux autres romans qui m'ont également transformée : Les liaisons dangereuses de Laclos et Lettres persannes de Montesquieu et je suis presque certaine de les avoir davantage appréciés grâce à mon préalable vampirique. Le retour aux classiques d'un genre permet de prendre la mesure de l'innovation qu'un auteur apporte lorsqu'il se commet sur un sujet largement battu. La série de Anne Rice (Entretien avec un vampire 1976, Lestat le vampire 1985, La reine des damnés 1988, Le voleur de corps 1992 puis Memnoch le démon 1995) m'avait beaucoup plût à l'époque car l'auteure s'était donnée la peine de réécrire une mythologie complexe, peinte par petites touches au fil de ses 5 romans, et ainsi de réinventer le personnage du vampire. La sensualité de ses créatures, magnifiquement rendue à l'écran par Neil Jordan dans le film tiré du premier tome, leurs tourments moraux et les multiples ramifications de cette famille de damnés en avaient fait une oeuvre majeure tant sur le sujet des vampires que dans le genre fantastique même.
Il me faut par contre avouer que le réalisme de Stephen King dans Salem (1974, réécrit en 2004), son incontournable création sur le thème du vampire, m'avait paru plus « fort » parce que plus humain. Dans ce roman, nous retrouvions le point de vue que les humains portent sur ces créatures2 et un des personnage principaux devait faire face au fait que les vampires n'existent pas dans notre monde moderne, ce qui leur procure un avantage de taille! Cette tension créée par la paire réalisme-fantastique était sa grande innovation (c'est d'aileurs généralement sa force dans la plupart de ses romans « fantastiques », j'y reviendrai un jour, promis). Ajoutons que le roman, en évitant une finale pleine d'espoir, respectait fort bien son postulat de départ. Sans trop en révéler, disons que vous imaginez sûrement que le virus vampirique se propage extrêmement rapidement dans une société débarrassé de ses sensibilités superstitieuses et de ses capacités imaginaires... Ces caractéristiques en faisaient une oeuvre incontournable dans ce sous-courant d'un genre dit paralittéraire. Ne comptez pas sur moi pour ouvrir un débat sur le bien-fondé des étiquettes : sachez que l'important, c'est de ne pas en avoir peur.
N'ayant pas lu les romans de Meyer ni ceux de Charlaine Harris, je ne peux pas me prononcer quant aux innovations (ou leur absence) que ces deux auteures ont apportées au genre, mais je peux vous dire que Del Toro semble reprendre l'hypothèse de King selon lequel le vampirisme se transmet rapidement et peux annihiler toute une société en très peu de temps et que Stoker#2, Dacre de son prénom, reprend lui le pendant historique qui avait inspiré son illustre parent. Nul n'ignore désormais que Bram s'était largement inspiré des atrocités commises par Vlad Tepes pour créer Dracula.
J'en tiens pour preuve l'extrait qui nous a été remis (avec une gousse d'ail!) lors de la journée ADP d'août dernier et qui s'ouvre sur une lettre de Mina Harker à son fils Quincy. Cette courte lettre laissera place à une narration classique (petite déception : j'aurais souhaité que les auteurs se conforment à la forme d'origine car la liberté qu'ils ont pris me semble être teintée de facilité) où nous suivons les pas de Jack Seward, toujours morphinomane, qui traque une femme que l'on devine être la comtesse Elisabeth Bathory, cousine du roi de Pologne. Cette dernière possède une mythologie tant fascinante que sanglante (googlez-la, vous verrez bien) se prêtant à merveille à un nouveau volet vampiresque. Cette idée de plusieurs lignées de vampires est intéressante : il faudra voir s'ils ne forment qu'une belle et grande famille aux branches éparpillées ou si, tel chez Anne Rice, ces familles se méconnaissent et évoluent parallèlement, chacune dans leurs parties du monde. Une caractéristique propre à Stoker me vient à l'esprit : cet auteur a eu le mérite de montrer, de par son inspiration historique, que l'être humain est forcément plus cruel que ces monstres que sont les vampires : ces derniers doivent tuer pour se nourrir et cet état de fait les rapproche davantage des animaux, qui ne peuvent être cruels puisque leurs forfaits leur sont inspirés par leur besoin de survivre, que des humains. Vlad Tepes et la comtesse de Bathory, par exemple, ne peuvent être que cruels puisque les vies humaines qu'ils ont sacrifiées l'étaient « gratuitement ». L'enseignement de Stoker, inconscient peut-être, était que la cruauté des vampire avait une forme définie, balisée, alors que la cruauté humaine n'a ni forme finie, ni frontière, ni vraiment de but si ce n'est un évident sadisme égoïste.
J'espère que cette suite sera à la hauteur du fameux Dracula ou, au moins, pas très loin. J'admire ces auteurs qui s'attaquent à des chef-d'oeuvres et se mettent ainsi dans la position la moins enviable qui soit dans le monde de la création, celui où l'on attire volontaitement la comparaison avec les grands qui ont su passer à travers les mailles du temps pour nous parvenir. Certains diront qu'écrire une suite à une grande oeuvre permet de profiter de son rayonnement et ils auront raison. Par contre, il ne faut pas oblitérer d'emblée les difficultés que ce choix de sujet suppose, que le résultat soit à la hauteur des attentes ou non. Je rappellerai pour mémoire la suite de Autant en emporte le vent, écrite par Alexandra Ripley en 1991, qui, si elle proposait finalement une fin heureuse, ne le faisait pas aux dépends des personnalités bien établies des protagonistes principaux que sont Rhett et Scarlett. La rumeur veut d'ailleurs que Ripley ait recopié à la main le roman de Margaret Mitchell pour s'immerger dans le style de cette dernière. Je ne sais pas si c'est vrai, mais cette suite était, toute proportion gardée, une réussite, bien qu'étant disparue de la plupart des librairies francophones depuis. C'est, pour notre plaisir de lecteur, ce que je souhaite à ce jeune Stoker et son collègue, Ian Holt. Nous serons fixés le 15 octobre prochain.
Votre libraire,
La garce des livres XXX

1Les Français sont très fort sur les mots anglais. Une de leur utilisation célèbre dans le milieu littéraire québécois est celui du mot thrillers qu'ils prononcent, sans l'ombre d'un sourire, srillères...
2Rappelons que dans le Dracula de Stoker, une seule lettre émane du comte et elle ne consiste qu'en l'invitation de Jonathan Harker à le visiter en Transylvanie. Nous n'en apprenons guère sur sa conception de l'existence.