dimanche 2 août 2009

L'énigme du retour, Dany Laferrière, Boréal 2009


Ah... Dany Lafferrière... c'est toujours un plaisir revisiter cet écrivain. Un type rare, un écrivain physique. L'avez-vous jamais vu marcher? Entendu parler? Vu se caresser le menton comme il le fait sur la couverture arrière de la copie hors commerce que j'ai l'immense bonheur et privilège d'avoir pu déjà dévorer? Stephen King me donne l'impression de faire partie de cette caste, mais je ne l'ai jamais vu bouger. Pas même en entrevue; je cherche peu les renseignements sur les écrivains. Je crains qu'ils ne teintent ma lecture. Monique  Proulx est indéniablement à ajouter à l'ensemble; j'ai pu l'observer au dernier salon du livre. Remarquez que l'auteure de Champagne, d'Homme invisible à la fenêtre ne pouvait qu'être physique. Magnifiques souliers d'ailleurs, Prada peut-être.

Revenons à Dany Laferrière. Écrivain physique donc, dans le contenu, bien sûr. Vous vous rappelez encore les descriptions des mangues, des femmes (leurs jambes, leurs nuques), de la ville (de ses habitants, ses places, ses envers), de sa chaleur lors des canicules, de sa froideur urbaine et moite, les scènes parfois torrides, toujours passionnées, jamais clichées et pourtant comme, hum... reconnues, disons, par le lecteur. Dans le style graphique la nature physique se révèle aussi : ses divisions narratives produisent, une fois sur la page, une répartition des imprimés où le rythme transparaît visuellement. Ce rythme que reconnaît aussitôt le lecteur habitué de l'auteur, et dont le néophyte remarque d'emblée l'individualité. Si vous doutez, feuilletez rapidement quelques-uns de ces livres puis feuilleter-en d'autres; ceux de Laferrière possèdent une véritable signature visuelle.

Plongeons un peu dans l'histoire : un fils apprend la mort de son père et visite le pays natal de ce dernier, qui est aussi le sien, et duquel tous deux ont dû s'exiler. Ça, c'est une synthèse digne du T.V Hebdo. Je veux d'emblée insister sur un trait de l'oeuvre : ce livre n'est absolument pas larmoyant. Le deuil n'est pas tant au centre du récit que l'est le thème du retour, de ce qu'on croit connaître et de ce qui est. On y retrouve une autre facette de l'aspect physique de l'auteur puisque le narrateur, comme toujours, nous fait vivre son histoire plutôt qu'il ne nous la raconte; il nous fait goûter ces repas, sentir Haïti, deviner les dieux.

Ces voyages auxquels il nous convie font en sorte que j'ai déjà visité ces pays comme jamais je n'aurais pu les voir et ce, sans parler des visites que j'ai pu faire dans le flou particulier de la vie. Adolescente, il me faisait littéralement fantasmer -à peu près en même temps que Woody Harrelson- ses livres étaient la promiscuité anonyme de la ville faîte chaire. Bien qu'il y parlasse abondamment de sa négritude -terme que je connaîtrai plus tard-, il était, à mes yeux, surtout montréalais. Je me souviens encore de certains décors qu'il a dépeints dans Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, et de ces Mizz. Je suis peut-être devenue Mizz Littérature parce que j'en avais vu esquisser un portrait charmant. Troublant.

Concluons avant de dire trop de bêtises : son dernier opus est une réussite, un livre à ranger (après l'avoir lu, bien sûr, car un livre rangé est un livre muet) dans son top 5 (celui de l'auteur, peut-être pas le vôtre). Un roman mature d'un écrivain parvenu à rassembler les thèmes, personnages, lieux et sensations qui parsèment et consruisent son oeuvre. On y retrouve aussi le rythme haché de Pays sans chapeau, entre autres, que l'on perdait un peu dans le précédent1. Soulignons la forme inhabituelle mais tout à fait heureuse d'un certain type de strophe rappelant les haïkus; clin d'oeil au livre de l'année dernière? Ces haïkus, qui n'en sont pas, produisent l'effet de photographies, d'instants, de réflexions qui, bien qu'ils ne riment guère, rythment la lecture à la manière d'une mélopée parfois . Quelque chose de Ponge sous l'emprise de la subjectivité. Ces moments textuels marquent bien l'écoulement du temps dont il est question explicitement dans le texte. Les pans de paragraphes d'une longueur plus traditionnelle encadrent ces chants contemporains, réalistes, dérangeants, et souvent empreint d'une lucidité révélatrice. Certaines images/impressions sont parfois moins exactes, moins justes, mais ces moments sont rares et perdus dans une mer, chaude, de sensations admirablement rendues.

La réflexion que propose le parcours du protagoniste est politique sans être pédagogique, sensible mais jamais pathétique. Elle se construit par à-coups, en touches successives, éparpillées. On croit aux personnages, on est curieux de leur passé, inquiet de leur avenir, ancré dans leur présent. Bref, c'est un bonheur de lecture, une de meilleures qu'il m'ait été donnée de faire cette année. Ce n'est comparable à rien, mais ça tient le pavé avec les Djian, Carrère, Adamson, Fitoussi et quelques autres dont je vous reparlerai. Voilà, je crois que tout est dit.

Votre libraire, la garce littéraire
XXX
1Je suis un écrivain japonais, Dany Laferrière, Boréal, 2008.